lundi 18 février 2008

Les contes du loup 3 - La Saint "Valentin"

Il y a longtemps déjà dans le petit village de Bazaraugues sur rivière, vivait un très vieil homme que tout le monde surnommait le "Saint", ce brave homme était la source de nombreuses histoires et de nombreuses rumeurs, mais aussi étonnant que cela puisse paraitre plus personne ne savait comment il s'appelait, ni son nom ni son prénom, il n'était que le "Saint".
Le lutin s'interrompit et me regarda, "alors elle ne commence pas bien cette histoire pour une fois?", j’acquiesçais attendant impatiemment que mon jeune ami poursuive. "Tiens pour une fois j'ai capté ton attention rien qu'en lançant une histoire sans avoir besoin de te saouler ou de faire des galipettes pour que tu me regardes, alors je vais en profiter."
Il s'installa face à moi et reprit son récit.


Hors donc ce vieil homme passait sa vie sur le banc du village, attendant sa bien aimée, qui jamais ne reviendrait. Un jour sentant sa mort toute proche, épuisé par le poids des années de dur labeur et des années d'attente interminable notre brave homme qui ne parlait jamais au point que les villageois l'avait cru muet, se rendit à la taverne du village, et il s'assit à une table ou se trouvait un jeune homme de bonne famille, éduqué et qui savait lire et écrire.



 -Mon p'tit vieux commença le vieil homme de la voix éraillé de n'avoir pas servie depuis longtemps, je m'en va te raconter ma vie, et je voudra bien que tu l’écrives pour qu'on se souvienne que je n'ai jamais brisé mon serment pour la Madeleine. Tu veux t'y bien le faire le ptiot?
 -Heu oui monsieur, ce serait un honneur que de consigner votre vie qui doit être un parangon de vertu.
 -Un quoi t'est ce? Bah laisse donc ton français de livre avec moi j'y comprendra rien. Pis écoute donc mon histoire.


Le lutin me regarda et vit à mon air effaré que je ne supporterais pas une histoire entièrement racontée avec l'accent du vieil homme, il s'arrêta le temps de se resservir un peu à boire puis me dit, bon je vais reprendre les termes du récit tel qu'il a été consigné par le jeune homme ce sera plus digeste.
Lorsque j'avais 8 ans la famille de Madeleine est venue s'installer à côté de chez nous, son père avait été envoyé comme émissaire, et il avait l'obligation plusieurs fois par semaines d'accueillir les villageois qui venaient apporter leurs doléances, parfois son rôle restait basique et il devait juste servir de juge pour des conflits de voisinages, des histoires de bétail volé ou ce genre de choses parfois c'était plus compliqué, et il devait en référer au seigneur et s'absentait parfois plusieurs jours.
Moi à cette époque, je n'allais déjà plus à l'école, mon père m'avait demandé de l'aider aux champs, c'était notre seule ressource et c'est grâce à ce travail que nous pouvions manger, notre seigneur était honnête et il nous laissait plus que nécessaire, ce qui permettait à mon père d'aider ceux qui dans le village n'avait pas de ressources, ce que j'ai moi même continué à faire ensuite, chose qui m'a valu une partie de mon surnom, les gens ayant perdus pour beaucoup l'envie d'aider leurs prochains.
Dès que mes corvées étaient finies, je courrais à la maison dans l'espoir fou d'apercevoir la Madeleine, et lorsqu'elle rentrait de l'école, je la regardais jouer quelques minutes dans la cour de leur grande maison en pierre, il faut dire qu'ils avaient une magnifique demeure entourée d'un mur assez haut toute en pierre qui était surement une ancienne demeure fortifiée. En tout cas derrière les grilles en fer forgée j'observais la jeune Madeleine et je sais, enfin j'ai su qu'elle m'a plusieurs fois aperçue elle aussi.
Jusqu'au jour ou j'ai osé m'approcher des grilles, c'était le jour de son anniversaire, je le savais parce qu'au village on avait dit que le seigneur avait envoyé un magnifique cheval comme cadeau pour la Madeleine, alors moi ce jour là j'avais cueilli quelques fleurs sauvages, tu sais de ces fleurs qui éblouissent encore les enfants mais plus du tout les adultes. J'avais fait un très joli bouquet, rien de très exceptionnel, quelques dizaine de fleurs tout au plus, mais j'étais fier de moi et je dois dire que le bouquet était vraiment coloré.
Elle m'a vu arriver et s'est approchée des grilles pour me regarder, avec son charmant sourire que je n'oublierais jamais. Elle attendait que je m'approche, et me regardait sans dire un mot, je me suis alors agenouillé devant les grilles et je lui déclamé un poème que j'avais écrit en quelques minutes après déjeuner et que j'avais appris par cœur, je m'en rappelle encore.


Madeleine je suis
Depuis que tu habites ici
Troublé à ta vue
Et je me sens perdu
J’ai le cœur qui bat
Chaque fois que je te vois


Je sais c'est très naïf mais n'oubliez pas que je n'avais que 8 ans, et croyez le ou non mais mon poème et mes fleurs ont fait mouche, et la belle Madeleine m'a donné un baiser sur la joue au travers des grilles. Je m'en rappelle comme si c'était hier, c'était le premier de ces anniversaires que nous passions ensemble.
Bien sur il y en eu d'autres, au départ son père n'était pas très content que nous nous fréquentions, j'avoue que nous ne faisions rien de mal à part jouer ensemble mais nous n'étions pas du même monde, ce n'est que lorsque nous eûmes tous les deux 15 ans, que les choses ont réellement empirées.
Son père acceptait désormais que nous restions ensemble, nous discutions, nous nous baladions, j'étais un peu rustre, mais elle m'apprenait des tas de choses, elle avait de l'éducation la Madeleine, beaucoup d'éducation, c'était une femme du grand monde, et elle était comme toutes les héroïnes des livres qu'elle aimait me lire parfois lorsque nous nous arrêtions dans un champ à l'abri des bosquets, c'était une romantique, elle croyait au grand amour, à l'unique, à celui qui dure toute une vie, et je dois dire que j’y crois aussi grâce à elle et grâce à toutes ces lectures, je ne m’étais jamais demandé ce que je ressentais pour elle lorsque nous étions plus jeunes, mais lorsque nous avions 15 ans je savais que c’était elle, que je l’aimais et que je l’aimerais toute ma vie. A mesure que son anniversaire approchait, je m’étais mis en tête de faire la plus grande folie de toute ma vie, ce jour là je désirais la demander en mariage à son père, bien entendu je n’étais pas fou et je lui en avais parlé par avance en me disant que si elle ne ressentait pas ce que je ressentais pour elle il valait mieux que je le sache avant de tenter l’irréparable. Elle était folle de joie, et elle m’embrassa pour la première fois sur les lèvres, quel exquis souvenir, elle venait de manger une poire, et le gout sucré que ses lèvres déposèrent sur les miennes ravivent ces merveilleux souvenirs dans ma mémoire.
J’avais réussi à vendre le fruit de mon labeur, et j’avais réussi à acheter des vêtements propres ainsi qu’une petite bague sans prétention, je n’avais pas grand chose mais le peu que j’avais n’était que pour elle, et je lui fis la surprise, le matin de son anniversaire, je pris le temps de bien me préparer, je me rasais de près, et j’enfilais mes beaux habits, puis la bague dans une poche, je sortais de la ferme pour me rendre auprès des grilles de la propriété, quelle surprise des les voir ouvertes et de voir toute l’agitation qui grouillait dans la cour de la propriété, un carrosse se trouvait dans la cour avec deux chevaux attelés, et le personnel de la maison chargé nombre bagages sur celui ci, je pensais aussitôt que son père ayant entendu parler de mon projet, s’empressait de faire partir sa fille pour le couvent ou pour je ne sais qu’elle ville ou je ne pourrais jamais plus la revoir, mais en m’approchant je vis Madeleine qui indiquait où certains bagages devaient aller. Elle me vit et me fit signe de la rejoindre, puis marchant tous les deux côte à côte et main dans la main, nous fîmes le tour de la propriété, j’appris que son père sur ordre du seigneur devait se rendre d’urgence dans un autre village et que la demande en mariage devait être repoussée, je pris les mains de Madeleine dans les miennes, et je m’agenouillais devant elle, je lui jurais que jamais je n’aimerais une autre femme, et que j’attendrais patiemment toute ma vie qu’elle me revienne afin que nous puissions nous marier, elle me jura que dés qu’elle le pourrait elle viendrait me rejoindre afin qu’ensemble nous puissions vivre notre amour, et que nous puissions être heureux, j’en profitais tout de même pour lui donner la bague en lui disant que le jour ou je pourrais la revoir, ce jour là je lui en offrirais une bien plus belle encore pour sceller notre vœu de vivre ensemble.
Elle accepta le présent, et elle aussi me fit le vœu de m’attendre, et de m’aimer éternellement.



 - Voilà ce que je veux que vous lui disiez à Madeleine quand elle reviendra, je veux que vous lui disiez que je l’ai toujours aimé, que je n’ai jamais cessé de penser à elle, et tenez.


Le vieil homme me tendit une bague magnifiquement ouvragée et sertie d’une pierre extrêmement pure.



 - Quand Madeleine sera revenue vous lui donnerez cette bague, c’est ce que je lui avais promis, vous lui direz bien que je n’ai pas rompu mon vœu, que je l’ai toujours attendu, et que je ne peux malheureusement plus l’attendre, puisque mon heure est arrivée, qu’elle ironie me direz vous, car demain c’est l’anniversaire de Madeleine, et oui, son anniversaire était le 14 février, et je crois que je vais mourir le jour de son anniversaire, je suis sur qu’elle en rira, de son rire clair, et communicatif, elle trouvera que je suis un vilain farceur et que je n’aurais pas du faire ça, mais elle rira.


Le vieil homme toussa à plusieurs reprises et je le vis porter un mouchoir à ses lèvres afin d’essuyer un mince filet de sang qui s’écoulait de sa bouche.



 - Vous avez tout bien noté me demanda t’il ? Ce à quoi j’acquiesçais.


Il se leva me salua et s’en alla, je restais là seul avec ce manuscrit, au moment où il allait quitter la taverne je l’appelais.



 - Monsieur le Saint ?
 - Oui mon garçon ?
 - Je sais pourquoi maintenant on vous appelle le Saint, entre ce que vous avez fait pour les autres et ce que vous n’avez pas fait pour ne pas briser votre vœu, je comprends aisément que l’on vous qualifie ainsi, mais dites moi, quel est votre prénom, car si Madeleine me le demande je ne le connais même pas.
 - Valentin mon jeune ami, je m’appelle Valentin.
 - Je signerais donc votre histoire du nom de « Saint » Valentin.


Le lutin me regardait dans les yeux attendant ma réaction.



 - Oui ton histoire est fort belle je l’avoue, mais enfin, elle est on ne peut plus classique finalement, ce brave homme attendit toute une vie une femme qui jamais ne revint, peut être savait elle qu’elle était d’un autre monde, d’une autre classe et que jamais tous les deux ne pourraient vivre ensemble ?
 - Et bien non, rien de tout ça, c’est peut être la phase la plus émouvante de ce récit, voici comment toute cette histoire se termine.
 Au dos du récit consigné par le jeune homme, se trouvait un post scriptum, le jeune homme après la mort du vieil homme, et terriblement touché par cette histoire fit des recherches.
 Et que découvrit-il ? Attends que je me rappelle ce qu’il avait écrit, ha oui ça y est.


Je découvris donc que Valentin n’avait pas affabulé, en effet un émissaire du seigneur en charge de ce territoire avait en effet été appelé en urgence en date du 14 Février de l’année en question, et il se trouve qu’en cherchant plus longuement je découvris que cet émissaire ainsi que toute sa famille fut tué, sur la route qui devait les mener à leurs nouvelles existences, par des brigands, ceux ci n’eurent aucune pitié, et tuèrent femme et enfants, et volèrent toutes les possessions de ceux ci.
J’appris aussi que Valentin ne devait plus avoir toute sa tête sur la fin de sa vie, car il se trouve qu’il apprit la nouvelle, et qu’il sut quelques jours à peine après le drame que l’émissaire, sa femme et Madeleine étaient morts dans une embuscade, ce qui ne l’empêcha pas tout de même de tenir son vœu et de ne jamais aimer une autre femme, attendant jusqu’à son dernier soupir celle qu’il savait ne pouvoir revenir…


Je resservis un verre à mon ami le lutin, et m’appuyant sur mon dossier je me retournais vers lui.



 - C’était vraiment un Saint ce Valentin n’est ce pas ?
 - Qui peut le savoir me répondit il énigmatique.


 


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